Les patients à la symptomatologie spécifique n’existant souvent que dans les livres, la pratique amène très vite à découvrir une médecine débordante de variables et de comorbidités qui s’entrecroisent, voire qui s’entrechoquent pour donner des tableaux cliniques aux présentations bien différentes.
S’ajoute à cela une sensibilisation accrue aux effets secondaires des traitements. Car un traitement efficace est fréquemment un traitement qui présente des effets secondaires collatéraux qu’il faut prendre en compte.
Cette vision globale et intégrative du patient est un point que j’ai toujours affectionné : ne pas considérer seulement un patient en se focalisant sur un organe, mais en le prenant dans son ensemble.
Dans son ensemble, c’est connaitre son histoire, ses ressentis, mais aussi ses souhaits. Ne pas seulement prodiguer un traitement au patient, mais construire avec lui une réelle prise en charge holistique dans laquelle il se reconnaîtra.
Cette démarche m’a amené à m’intéresser aux troubles digestifs que provoquent les traitements psychotropes que nous prescrivons.
Il est connu, par exemple que les antidépresseurs inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine (ISRS) provoquent des troubles du transit, ainsi que les neuroleptiques qui provoquent en plus des syndromes métaboliques.
Ceux-ci, malgré les recommandations, sont encore souvent difficilement pris en charge de façon optimale et sont à l’origine de prescriptions annexes, de discontinuité dans les traitements et de souffrance chez les patients.
En explorant plus loin ce sujet, un terme revient souvent : celui de maladie de civilisation.
La boucle physiologique globale syndrome anxiodépressif - syndrome de l’intestin irritable
Derrière ce terme se cache un spectre de maladies qui voient leur prévalence augmenter de façon significative ces dernières années avec un retentissement de plus en plus important au sein de la population.
Parmi ces maladies, le syndrome de l’intestin irritable (SII).
En interrogeant les patients souffrant de troubles dépressifs que j’avais en consultation, j’ai été surpris de la forte prévalence de troubles digestifs et du transit, y compris chez ceux sans traitement psychotrope.
Troubles digestifs qui s’accompagnaient de douleurs invalidantes, se surajoutant à la souffrance psychique déjà présente.
Si le lien entre le syndrome de l’intestin irritable (SII) et le phénomène dépressif est établi depuis de nombreuses années. C’est un sujet qui jusque-là a surtout intéressé les gastro-entérologues qui l’ont principalement abordé sous l’angle de la dépression comme comorbide du SII.
Or la catégorisation récente de ce que l’on appelle les maladies de civilisation, dans lesquelles on retrouve par exemple la fibromyalgie ou le syndrome de fatigue chronique, a permis de définir un point commun à cet ensemble : le phénomène inflammatoire, qu’il soit manifeste ou dit de bas grade, sa présence est constante.
Les recherches des dernières années ont montré que ce phénomène inflammatoire était présent dans le SII, mais aussi dans la dépression. Cause ou conséquence ? L’inflammation est aujourd’hui au centre de toute l’attention.
Car c’est un phénomène qui touche l’ensemble de l’organisme qui, s’il trouve son origine dans un lieu précis, peut également avoir un retentissement global.
De ce fonctionnement global, ou plutôt parfois de ce dysfonctionnement, est né le concept du « Gut-Brain Axis », ou axe Intestin-Cerveau, qui totalise à ce jour plusieurs centaines de publications et dont le grand public s’est grandement emparé en parlant de « L’intestin, notre deuxième cerveau ».
L’axe cerveau-intestin et ses quatre voies de communication
D’après Sender E. Le microbiote allié de notre cerveau. Sciences et Avenir. 2016
J’ai centré mes recherches sur ce Gut-Brain Axis sous l’angle du psychiatre en me focalisant sur le syndrome de l’intestin irritable qui est codifié précisément par les critères Rome IV et le syndrome anxiodépressif (SAD) qui l’est tout autant.
En effet, si les symptômes anxieux et dépressifs sont fréquemment recherchés par nos collègues gastro-entérologues chez leur patient souffrant d’un SII, l’inverse n’est pas établi pour les psychiatres, qui mettent le plus souvent certaines manifestations du transit sous l’effet exclusif des traitements psychotropes prescrits.
De nos jours, de nombreuses dépressions à la symptomatologie atypique, résiduelle, voire résistante aux thérapeutiques habituelles, sont repérées. Ce phénomène survenant au même moment où apparaissent, et ce de façon exponentielle, les maladies de civilisations, ce qui soulève certaines questions.
Nos patients sont aussi le moteur d’une autre vision du soin, par leur volonté d’une médecine novatrice de par sa conception et de par ses traitements souvent dits alternatifs. Cette approche représente l’association d’un retour aux connaissances ancestrales des médecines douces et Orientales alliées aux connaissances physiopathologiques actuelles.
Mes recherches auprès de mes patients m’a montré un forte présence des troubles digestifs lors d’un phénomène anxiodépressif, mais également les possibilités d’améliorations thérapeutiques chez plusieurs patients souffrant de dépression et de troubles digestifs par la mise en place d’un régime alimentaire moins inflammatoire comme la diète FODMAPs (Fermentable Oligo, Di, and Mono-saccharides, And Polyols).
Ceci dans l’idée d’encourager une prise en charge adjuvante aux traitements classiques antidépresseurs avec pour objectif d’améliorer la qualité de vie et le futur des patients.
Article rédigé par Dr Loris-Alexandre MAZELIN
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