Introduction
L'apnée du sommeil et la perte d'audition sont deux problèmes de santé courants qui touchent des millions de personnes à travers le monde. À première vue, ces deux affections semblent sans rapport. Cependant, des recherches récentes ont mis en évidence un lien significatif entre elles. Comprendre cette connexion est essentiel pour améliorer la prévention, le dépistage et le traitement de ces conditions, ainsi que pour sensibiliser le public et les professionnels de la santé à cette association.
Qu'est-ce que l'apnée du sommeil ?
L'apnée du sommeil est un trouble du sommeil caractérisé par des arrêts respiratoires répétés pendant la nuit. Ces interruptions, appelées apnées, peuvent durer de quelques secondes à plus d'une minute et se produire des dizaines, voire des centaines de fois par nuit. La forme la plus courante, syndrome d'apnée obstructive du sommeil (SAOS), est causée par le relâchement des muscles de la gorge, qui bloque les voies aériennes supérieures et entraîne une réduction ou un arrêt du flux d'air.
Les conséquences de l'apnée du sommeil sur la santé sont multiples : somnolence diurne excessive, troubles de la concentration, hypertension artérielle, maladies cardiovasculaires et, potentiellement, perte d'audition.
La perte d'audition : un problème fréquent
La perte d'audition affecte des personnes de tous âges, mais elle est particulièrement répandue chez les personnes âgées. Les causes sont variées : exposition prolongée au bruit, vieillissement (presbyacousie), infections de l'oreille, traumatismes sonores, facteurs génétiques et certains médicaments ototoxiques.
Selon l'Organisation mondiale de la santé, plus de 5 % de la population mondiale, soit 466 millions de personnes, souffrent d'une perte auditive invalidante. Cette condition a un impact significatif sur la qualité de vie, la communication et peut conduire à l'isolement social et à la dépression.
Le lien entre l'apnée du sommeil et la perte d'audition
Des éléments scientifiques en faveur
Plusieurs études ont établi une association significative entre l'apnée obstructive du sommeil (SAOS) et la perte auditive, soulignant l'impact potentiel des troubles respiratoires du sommeil sur la fonction auditive.
L’étude de Sheu (2012) a analysé un large échantillon de 3 200 personnes ayant subi une perte auditive soudaine, comparé à un groupe témoin de 16 000 individus sans problème d’audition. Les résultats ont montré que 1,7 % des patients présentant une perte auditive soudaine avaient un diagnostic préalable d'apnée du sommeil, contre 1,2 % dans le groupe témoin. Chez les hommes, cette association était particulièrement marquée, avec un risque accru de 48 %. Ces données, bien qu’exploratoires, suggèrent que les problèmes respiratoires pendant le sommeil pourraient contribuer à certains cas de perte auditive, en particulier les pertes soudaines.
L'étude Chopra (2016) fournit des preuves supplémentaires d’une association entre le SAOS et la déficience auditive, en se concentrant sur une population hispanique/latino.
Les résultats sont saisissants :
9,9 % des participants souffraient d'AOS.
32,3 % présentaient une déficience auditive.
Les personnes souffrant d'apnée du sommeil présentaient un risque accru de déficience auditive :
Une augmentation de 30 % pour toute déficience auditive.
Une augmentation de 26 % pour la déficience à haute fréquence.
Une augmentation spectaculaire de 127 % pour la déficience à basse fréquence.
En outre, cette étude a mis en évidence une relation dose-réponse : plus l’apnée était sévère, plus le risque de déficience auditive augmentait. Ces résultats renforcent l'idée que l'AOS, bien qu'habituellement associée à des complications cardiovasculaires, peut également avoir un impact délétère sur la fonction auditive.
L’étude Vorlová (2016) a démontré que l'apnée obstructive du sommeil (SAOS) sévère peut affecter l'audition, en particulier à haute fréquence. Les patients atteints du SAOS sévère présentaient des seuils auditifs significativement plus élevés à 4000 et 8000 Hz, corrélés à des facteurs tels que l'indice d'apnée/hypopnée (IAH), la désaturation en oxygène et l'indice de masse corporelle (IMC). Ces résultats soulignent l'impact potentiel des fluctuations d'oxygénation et des troubles hémodynamiques sur la fonction auditive, mettant en évidence l'importance d'une surveillance audiologique chez ces patients.
Les mécanismes en jeu : un puzzle complexe
Les preuves scientifiques montrent que l'apnée obstructive du sommeil (SAOS) et la perte auditive partagent plusieurs mécanismes sous-jacents, encore partiellement élucidés. Cependant, plusieurs hypothèses physiopathologiques solides permettent de comprendre cette connexion.
L'hypoxie intermittente, caractéristique du SAOS, réduit l'oxygénation sanguine, ce qui peut endommager les cellules ciliées de l'oreille interne, essentielles à la transmission sonore.
L'inflammation systémique et le stress oxydatif, liés aux fluctuations des niveaux d'oxygène, jouent un rôle clé dans la détérioration de la microcirculation cochléaire.
Le dysfonctionnement vasculaire, souvent observé chez les patients atteints du SAOS sévère, pourrait perturber l'apport en oxygène et en nutriments à l'oreille interne.
L’intensité des ronflements, la fréquence, la répétition et l’intensité en décibels des ronflements pourraient participer à l’altération de la perception auditive.
Traitement du SAOS : un espoir pour préserver l’audition ?
Des avancées récentes dans la prise en charge du SAOS apportent un éclairage positif sur l’impact des traitements sur la fonction auditive.
Par exemple, l’étude menée par Chi (2021) montre que le traitement par pression positive continue (PPC) améliore l’audition chez les patients atteints de troubles respiratoires du sommeil et de perte auditive neurosensorielle (SNHL). Après six mois de PPC, les seuils auditifs aux basses et moyennes fréquences se sont significativement améliorés, avec des gains qui se sont maintenus après un an. Ces résultats soulignent que la PPC, en plus de traiter les troubles du sommeil, pourrait contribuer à préserver et améliorer la fonction auditive chez ces patients.
Ces résultats, renforcés par l’analyse transversale de Kayabasi (2019), suggèrent que le traitement du SAOS pourrait atténuer les impacts négatifs sur l’audition, en particulier chez les patients présentant une perte auditive neurosensorielle.
Ces observations ouvrent des perspectives prometteuses pour les patients souffrant de troubles respiratoires du sommeil. En améliorant l’oxygénation et en réduisant le stress oxydatif, le traitement par PPC pourrait non seulement protéger les structures auditives, mais aussi ralentir la progression des pertes auditives liées au SAOS.
Vers une prise en charge intégrée : un défi multidisciplinaire
L’association entre le SAOS et la perte auditive soulève des questions importantes pour la santé publique et l'organisation des soins. Ces affections, bien qu’apparentes distinctes, nécessitent une prise en charge intégrée et collaborative.
Dépistage croisé : Les patients souffrant du SAOS devraient bénéficier d’une évaluation régulière de leur fonction auditive. Inversement, les patients souffrant de pertes auditives inexpliquées devraient être évalués pour des troubles respiratoires du sommeil.
Approche multidisciplinaire : Une collaboration entre spécialistes du sommeil, ORL, audiologistes et médecins généralistes est essentielle pour optimiser la prise en charge.
Éducation et sensibilisation : Informer les patients et les professionnels de santé sur les liens entre le SAOS et la perte auditive pourrait améliorer la détection précoce et la prise en charge.
Perspectives futures :
Les recherches actuelles, bien qu’éclairantes, soulignent la nécessité de poursuivre les investigations sur le lien entre le SAOS et perte auditive. Plusieurs questions restent ouvertes :
Comment les mécanismes pathologiques du SAOS affectent-ils spécifiquement les différentes fréquences auditives ?
Quels sous-groupes de patients sont les plus vulnérables à cette association ?
Le traitement par PPC peut-il inverser les dommages déjà présents ou simplement ralentir leur progression ?
Des études longitudinales à grande échelle, combinées à des approches innovantes comme l'imagerie cochléaire et les biomarqueurs inflammatoires, pourraient fournir des réponses à ces questions cruciales.
Conclusion :
Le lien entre le SAOS et la perte auditive met en lumière l’interconnexion entre les troubles respiratoires du sommeil et les pathologies sensorielles. Une approche globale et préventive est essentielle pour améliorer la qualité de vie des patients concernés. Dépister, traiter et sensibiliser doivent devenir des priorités pour les professionnels de santé. Par cette démarche intégrée, il est possible non seulement de réduire les impacts du SAOS, mais aussi de préserver une fonction auditive essentielle à la communication et à la vie sociale.
Article rédigé par Docteur Loris-Alexandre Mazelin
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